Le CEER (Council of European Energy Regulators) a publié en juin dernier une étude intéressante sur l’autoconsommation collective sous l’angle des régulateurs des marchés de l’énergie en Europe. Cette étude, basée sur l’analyse de plusieurs cas d’autoconsommation collective au travers de l’Europe, encourage le développement de ces initiatives mais souligne la nécessité de mettre en place un cadre régulatoire transparent et fiable pour assurer la pérennité de ces nouveaux modèles de consommation et garantir l’équité entre tous les consommateurs énergétiques.
Un modèle soutenu par l’Europe

Alors que l’autoconsommation est autorisée dans la plupart des pays européens, l’Europe a décidé d’aller un pas plus loin en instituant formellement un cadre à l’autoconsommation collective lors de la révision de la Directive sur la promotion des énergies renouvelables en décembre 2018. Le développement récent de l’économie partagée, qui a favorisé l’émergence de nouveaux modèles de consommation énergétiques basés notamment sur le partage de l’électricité entre des producteurs et des consommateurs, a incité l’Europe à
introduire le concept de communauté d’énergie renouvelable (CER) dans la règlementation de manière à lui fournir une entité juridique. Dans ce cadre, les CERs sont autorisées d’une part à produire, consommer, stocker et vendre de l’énergie renouvelable et, d’autre part, à partager, au sein de la communauté, l’énergie renouvelable produite par les unités de production détenues par la communauté. L’Europe estime en effet que l’autoconsommation collective et les modèles qui en découlent contribueront à l’objectif de neutralité carbone en 2050, participeront à la démocratisation des systèmes énergétiques et favoriseront un développement économique local et social.
Des modèles d’autoconsommation collective variés
Le manque de cadre légal clair dans les différents pays européens a favorisé l’émergence de modèles d’autoconsommation collective multiples et particuliers dans le cadre d’initiatives pilotes ou au travers d’un cadre légal existant (cas en France notamment).
Suivant son analyse de plusieurs cas d’autoconsommation collective en Europe, le CEER a catégorisé les projets en 3 catégories :
- Les communautés détenant des outils de production d’énergie renouvelable: Il s’agit du cas le plus répandu. Dans ce cas, l’énergie renouvelable produite n’est pas autoconsommée par les membres de la communauté mais revendue à un fournisseur. Les revenus sont partagés entre les membres ou réinjectés dans d’autres projets de production renouvelable. Typiquement, les coopératives citoyennes de production d’énergie renouvelable entrent dans ce cadre.
- Partage d’énergie virtuel sur le réseau public: Ici, la communauté produit et partage virtuellement l’énergie renouvelable entre ses membres au travers du réseau électrique public. Ce type de partage est organisé par un fournisseur d’énergie commun qui se charge de faire correspondre la production et la consommation de manière à maximiser l’autoconsommation.
- Partage de la production locale au travers d’un réseau détenu par la communauté énergétique : Dans ce dernier cas, l’énergie produite est partagée physiquement sur un réseau privé détenu par la communauté énergétique. C’est le cas du microgrid. Historiquement, ce modèle s’est développé sur des îles déconnectées du continent. Mais des initiatives basées sur ce modèle ont également émergé dans des régions dotées d’un réseau public, motivées par la volonté de produire et consommer localement l’énergie et de réduire les coûts de transport.
Les enjeux de la mise en place des communautés énergétiques
La grande largesse donnée par la définition européenne à la notion de communauté d’énergie renouvelable oblige les pays européens à devoir plancher sur la création d’un cadre juridique pour guider le développement de ces nouveaux modèles de consommation qui bousculent la relation traditionnelle fournisseur-client. En effet, la communauté énergétique pourrait jouer le rôle de fournisseur, d’agrégateur et même dans certains cas de gestionnaires de réseau.
Le CEER identifie plusieurs contraintes à lever pour sécuriser le modèle, dont les principales sont résumées ci-après :
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Une connaissance approfondie du fonctionnement du réseau :
L’un des principaux avantages avancés dans les projets d’autoconsommation (collective) est la diminution de l’utilisation du réseau public et dès lors la réduction des coûts de distribution.
Or, d’après le CEER, ces coûts de distribution diminueront seulement si les utilisateurs sont incités à modifier leur comportement de consommation et si leur consommation est gérée activement pour maximiser l’autoconsommation et réduire les pointes sur le réseau. Cette tâche nécessite une connaissance approfondie du fonctionnement des réseaux et de ses limites techniques au niveau du courant et de la tension corrigée en temps réel afin d’éviter les contraintes sur le réseau. Elle nécessite également que les participants au système reçoivent des signaux de prix pour faire matcher leur consommation à la production.
- La coordination entre le fournisseur local et le « back-up » :
La production locale partagée permettra de fournir une partie des besoins énergétiques d’un client mais dans la plupart des cas un fournisseur « back-up » sera toujours nécessaire pour fournir l’appoint en dehors des périodes de production locale.
Cela implique qu’un même point de livraison pourrait être approvisionné par plusieurs sources :
– Le fournisseur local (communauté énergétique) ;
– Le fournisseur back-up (fournisseur historique) ;
– L’énergie acquise au travers d’une plateforme virtuelle.
Dans ce cas, la question du balancing doit être adressée. Le challenge porte sur l’allocation des volumes énergétiques entre le fournisseur local, le fournisseur back-up et la plateforme virtuelle. Selon le CEER, si l’équilibrage est à charge du fournisseur back-up, deux cas pourront apparaître :
– Soit le fournisseur back-up qui fournira probablement de l’énergie lorsqu’elle sera la plus coûteuse, devra en outre imputer sur la facture le service d’équilibrage au client membre de la communauté énergétique. Par conséquent le coût du kWh résiduel augmentera.
-Soit le fournisseur back-up sera contraint par la règlementation de ne pas facturer le surcoût de l’équilibrage engendrant dès lors une augmentation du coût moyen de l’énergie sur réseau public qui devra être supporté par l’ensemble des clients.
Le risque de créer une différence significative entre les membres d’une communauté énergétique et les autres consommateurs est important.
- La liberté de choix des consommateurs :
L’Europe a clairement indiqué dans sa Directive sur la promotion des énergies renouvelables que chaque consommateur doit rester libre d’intégrer ou non une communauté énergétique. À titre d’exemple, un propriétaire d’un appartement, situé dans un immeuble doté d’une installation PV partagée entre les différents propriétaires, doit conserver la liberté de choisir entre le modèle d’autoconsommation collective proposé par la communauté ou de s’approvisionner auprès d’un fournisseur d’énergie traditionnel. C’est ainsi que les contrats passés avec les communautés énergétiques devront garantir aux participants leur droit à changer de fournisseur librement. Par conséquent, le business model de la communauté énergétique doit être suffisamment flexible pour faire face aux entrée et sorties des participants.
- Assurer la viabilité financière à long terme des microgrids :
Les microgrids sont conçus pour gérer la demande locale en énergie et de maximiser l’utilisation des ressources locales. Cela offre de nombreux avantages au niveau local : réduction de la pression sur le réseau public, diminution du besoin en nouvelles infrastructures et possibilité de réduire les pertes et d’augmenter la résilience du réseau local.
Le challenge pour les microgrids consiste à d’une part assurer une exploitation du réseau local à des coûts d’exploitation efficaces et, d’autre part, à garantir la viabilité financière et technique du réseau local à long terme. En effet, l’opérateur du microgrid devra, sur le long terme, faire face à des investissements pour assurer le fonctionnement du réseau. Le remplacement d’un transformateur peut représenter un coût considérable s’il est partagé parmi un nombre d’usagers limité. La communauté énergétique devra alors prévoir des coûts d’entretien à charge des utilisateurs qui prennent en compte les besoins financiers à long-terme mais également les frais de monitoring, les frais de protection du réseau (cybersecurité), etc. Le business model doit ici aussi être suffisamment solide pour faire face à la sortie d’un des utilisateurs.
La nécessité de créer un cadre juridique
La réussite de cette initiative dépendra de la capacité de chaque pays européen à élaborer un cadre qui assure un développement pérenne des communautés énergétiques. D’après le CEER, ce type de modèle doit clairement être encouragé lorsque les activités de la communauté apportent des avantages, tels que la réduction des coûts de réseau.
Où en est-on en Wallonie ?
Au niveau des communautés détenant des outils de production d’énergie renouvelable, de nombreuses coopératives citoyennes de production d’énergie renouvelable existe en Wallonie. La plupart sont regroupées au sein de RESCOOP Wallonie qui fédère 15 coopératives qui produisent de l’électricité principalement à partir d’éoliennes, d’installations photovoltaïques, de la biomasse et de la biométhanisation. L’ensemble de ces coopératives regroupent 10.700 coopérateurs et ont rassemblé 15,4 mios € de capital. Ces coopératives ont également créé le fournisseur d’électricité coopératif, COCITER. En 2018, le fournisseur coopératif a
distribué 40 millions de kWh, de quoi alimenter 11.500 ménages (3500 kWh/ménage).
A côté des initiatives citoyennes, il existe plusieurs initiatives pilotes qui sont développées en partenariat avec les gestionnaires de réseau. L’on peut citer le cas de Merygrid, projet porté par RESA, qui est un microgrid situé sur la commune d’Esneux, en région liégeoise. Ce réseau, relié à des panneaux solaires, une turbine hydroélectrique et une unité de stockage, alimente 3 entreprises. Un système d’intelligence artificielle (EMS) gère l’optimisation du micro-réseau et devrait permettre une économie de 15% sur la facture énergétique des utilisateurs. Ce cas correspond au partage de la production locale au travers d’un réseau privé détenu par la communauté énergétique, présenté ci-avant.
Source: Nethys
Une deuxième initiative, E-Cloud, portée par ORES, existe dans le Tournaisis où un micro-réseau virtuel a été mis en place au sein d’un zoning industriel. Il s’agit de mettre en commun des unités de production pour une communauté d’entreprise. A la différence du premier cas, les entreprises restent connectées au réseau public de distribution. L’échange d’énergie est réalisé au sein d’une plateforme virtuelle. Ce cas correspond typiquement au partage virtuel d’énergie sur le réseau public, présenté ci-avant.
Ces deux projets pilotes ont été autorisés par la CWaPE, Commission wallonne de l’énergie, dans la mesure où ces projets répondaient aux critères suivants :
- Projet ayant pour objet l’étude de la mise en œuvre de solutions technologiques optimales pour le marché wallon de l’électricité (efficacité énergétique, flexibilité de la demande, gestion de la production décentralisée, promotion de l’autoconsommation locale et des circuits-courts) ;
- Présenter un caractère innovant ;
- Ne pas avoir pour objectif principal d’éluder toutes formes de taxes et charges dont les participants seraient redevables s’ils n’étaient pas dans le périmètre du projet ;
- Présenter un caractère reproductible.
D’un point de vue règlementaire, la Wallonie va s’appuyer sur les différents projets pilotes pour élaborer la législation relative au développement des communautés énergétiques. A l’heure actuelle, le législateur s’oriente plutôt vers l’option du partage virtuel d’énergie sur le réseau public.